Dans sa résidence officielle, un coup brutal mais trop familier est frappé à la porte, troublant l'aube naissante. Il écouta attentivement, avec ce léger frisson qui l'envahissait toujours lorsque le messager apparaissait : Un fervent adepte de l'ancienne foi qui, tel un reproche silencieux, traînait encore dans la ville. Et en effet, lorsqu'il ouvrit la porte, le messager était là, immobile, comme s'il attendait un jugement déjà prononcé depuis longtemps. Enfin, le coursier lui remit les lettres, dont il inspecta les sceaux d'un œil exercé. Ils sont intacts. En échange, il lui donna deux pièces de l'ancienne monnaie - un geste trop évident, qu'il regretta aussitôt. N'était-il pas un serviteur du Seigneur, un serviteur qui ne se perdait pas dans le zèle, mais qui savait dissimuler ses émotions avec soin ? Il remercia le coursier, comme on le fait, referma la porte sans bruit et retourna à son bureau.
La lumière de la lampe à huile vacille avec inquiétude sur la topographie formée par les lettres étalées devant lui. Avec une familiarité éprouvée, il parcourut les textes, les classant en demandes personnelles, en questions théologiques et en nouvelles. Là où les catégories se chevauchent, il cherche le bon pli pour les séparer. Avec la sobriété de celui qui est appelé à la tâche, il s'assoit là, sachant que presque personne au monde ne reçoit et n'envoie autant de lettres que lui. Il avait donc une idée assez précise des événements de l'époque. La famine, la guerre, les fleuves qui sortent de leur lit et les grêlons si gros qu'ils frappent les troupeaux dans les champs. Ce qui semblait déconnecté prenait du sens lorsqu'on le regardait de bout en bout. Peut-être, pensa-t-il en y regardant de plus près, trouverait-on un message qui mériterait d'être illustré par l'un des artistes de la ville, imprimé dans les ateliers et diffusé. Une forte odeur de fenugrec bleu l'arracha à ses réflexions. Le fromage à pâte dure que le messager lui avait apporté la veille reposait toujours sur la table, soigneusement emballé dans du lin, lui rappelant qu'il était temps de prendre son petit-déjeuner.
L'estomac plein, il s'endormit d'un sommeil étrange et léthargique. Le fromage continuait à faire son effet sur sa langue, tandis que des images surgissaient d'une profondeur qui ressemblait à celle de l'Ancien Testament, informe et boueuse. Pourtant, ce qui commençait à se dessiner lentement devant lui ne se trouvait pas dans les profondeurs du temps, mais devant lui. Sur une jetée, il y avait des gens. Dans l'ombre naissante, il pouvait distinguer des visages familiers à mesure qu'il s'approchait. Une famille pieuse, qui avait fui ici il y a des années pour sa foi. Le premier tisserand de velours de la ville, diligent et bientôt membre d'une des guildes. Ils tenaient dans leurs mains les fruits du mûrier, qu'ils fourraient sans réfléchir dans leur bouche, tandis que le jus rouge foncé leur coulait sur le menton. Des milliers de vers à soie, se nourrissant des baies tombées, rampaient à leurs pieds. Sans y prêter attention, ils se retournent et montent à bord du galion, non sans avoir écrasé quelques-uns des vers sous leurs pieds. Les enfants, qui ont maintenant les mains propres, portent des piles de livres sur la planche.
Un petit garçon revint et regarda le rêveur, comme seuls les enfants peuvent le faire. Sa peau était pâle, presque grise. D'une voix claire, il dit à l'homme : « Le corpus de l'église est en train de mourir. Mais tout comme de ce fruit écrasé sortiront l'arbre, la soie et le velours, de nouvelles corporations naîtront et partiront vers de nouveaux mondes. » L'homme fut pris d'un tel dégoût qu'il eut le réflexe de gifler violemment le garçon. Avant d'attendre sa réaction, il se réveilla. Le goût du petit déjeuner était encore sur sa langue, se mêlant maintenant à la saveur de mûres qu'il n'avait jamais goûtées. S'il s'était débarrassé il y a peu du réflexe de faire le signe de croix, celui-ci aurait pu le rattraper maintenant.
– Luca Maria Beeler
Alison Yip est une artiste canadienne qui vit actuellement à Cologne, en Allemagne. Alison Yip est titulaire d'un baccalauréat en beaux-arts de l'Alberta College of Art and Design, à Calgary. Elle a poursuivi ses études à la Kunstakademie de Düsseldorf, en Allemagne, et a obtenu une maîtrise en beaux-arts de la Hochschule für bildende Künste de Hambourg, en Allemagne. Elle a récemment exposé en solo ou à deux, notamment à la Contemporary Art Gallery, Vancouver, CA ; à Kantine, Bruxelles, BE ; à Damien and the Love Guru, Zurich, CH ; à la Galerie Noah Klink, Berlin, DE ; au Dortmunder Kunstverein, Dortmund, DE ; et à Lady Helen, Londres, UK.
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